J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans cet article. J’avais l’impression qu’il fallait que je sois prête , que je soie dans cet état d’esprit ou plus rien ne s’accroche. Ou les sentiments ne sont plus, ne nous prennent plus le coeur dans un étau, ou l’on peut garder la tête froide et raconter les choses sans les teinter de douleur, de peine, de souvenirs de charbon.
J’ai toujours eu un rapport étrange à la mort. Depuis toute petite, j’ai vécu quantité de décès – tous mes grands parents – deux oncles, et puis des amis d’amis. Mort par le feu (une gamine qui est restée trop près d’une cheminée – une histoire horrible), suicides du père d’un ami (et à la carabine s’il vous plait, avec des petits bouts de cervelle qui repeignent les murs de l’appart), accidents(le mentor de mon meilleur ami qui se fait rouer a mort de coups dans une cabine téléphonique, ou un petit cousin qui devient un légume après s’être pris un camion, avant de mourir 3 ans plus tard)…Lorsque vous êtes petits , vous ne comprenez pas très bien. Vous ne connaissiez pas trop vos grands parents, alors ils ne vous manquent pas. Mais vous voyez vos parents pleurer. Et pour un gosse, il n’y à pas de plus triste que de voir nos parents – les indestructibles, les détenteurs de la sagesse ancestrale et du pouvoir divin- pleurer, un soir, cachés dans l’escalier de la cave. Vous prenez conscience de la mort et de la manière dont elle nous affecte, nous , vivants, par la souffrance qu’elle déclenche chez les autres. Parce que oui. Mamie était morte, ça ne me faisait pas grand chose. Mais ressentir cette souffrance palpable à l’enterrement, les visages fermés, les voix qui tremblent pendant le discours, les gestes hésitants, et aussi l’indifférence ou l’ennui , ça me vrillait le coeur. Du marbre froid, des restes de fleurs dessechées sur les tombes, des mots gravés à l’or sur la pierre immuable au milieu d’angelots potelés qui ne semblaient pas savoir ce qu’ils foutaient là. Il fallait croire que la vie devait se retirer de ces endroits, pour ne pas déranger ceux qui reposaient en ces lieux.
On me disait, qu' »ils étaient partis ». Partis où? Et je m’énervais « Pourquoi vous ne dites pas qu’ils sont morts une bonne fois pour toute! Ils ne reviendront pas! Si vous n’assumez pas le fait qu’ils soient mort, vous ne pourrez jamais passer à autre chose!Et puis c’est quoi ces conneries de vie après la mort?Il n’y a rien après la mort, c’est le néant! » J’explosais. Cette tristesse, cette amertume, cette froideur et cette immobilité, je l’ai très vite associée à la mort. Pour moi, la Mort c’était l’immobilité, ce HLM de cubes de marbres et la douleur .Pourquoi se devait on d’être grave, de faire semblant d’être triste même si on s’en foutait du mort en question, comme si être joyeux était une offense ou que ça nous faisait passer pour un psychopathe, que sourire à un enterrement nous inscrivais direct sur la liste des « coeurs de pierre infréquentables ou bons pour la camisole »? Et puis je n’en pouvais plus, de cet évitemment, de ces paraboles et langues de bois , de ces soit disant paradis, rédemptions ou autres conneries religieuses qui pour moi étaient une façon d’éviter de regarder en face le fait qu’un jour, nous ne serions plus que des carcasses mangées par les vers.
Et puis vers mes 18 ans, je suis tombée malade.
J’avais toujours été une fille plutôt vive, j’adorais faire la course contre les garçons a la récréation, grimper aux arbres et partir explorer. En relationnel par contre, j’étais carrément une buse; timide comme c’est pas permis, ma capacité à me lier a autrui ne valait pas mieux que celle d’un escargot à gagner le 100 mètre contre Usan Bolt. Alors je courrais, je dessinais des licornes sur le sol de la cour, je dessinais énormément. Mais je dormais mal, depuis toute petite.J’étais somnambule, je bougeais beaucoup, je faisais de l’apnée durant mon sommeil. Ma mère avait d’ailleurs été demander conseil à son médecin, parce que je me trainais en permanence des cernes jusqu’au menton. « c’est pas grave, ça disparaitra quand elle sera grande« . Tu parles. A 18 ans, ça s’est soudainement empiré. Cette nervosité s’est ressentie au niveau cardiaque, ou j’ai commencé à souffrir de tachycardie. C’est pas bien grave je vous rassure, c’est juste ton coeur qui saute des battements et ça n’a a priori aucune incidence sur ta santé, mais j’ai juste flippé ma race. J’avais l’impression que j’allais mourir demain, ce soir, tout de suite. Je ne pouvais plus faire du sport, j’angoissais à l’idée qu’il pouvait s’arrêter , que j’allais tomber là, morte. La fin de ces sensations, du soleil sur ma peau, du bruissement des feuilles, du contact d’une main chaude autour de la mienne, d’une voix qui chante. La fin de ce monde si beau, pour moi qui n’y verrais plus rien, qui ne ressentirais plus rien. Comment quelqu’un pouvait-il seulement penser a se suicider alors que je ne demandais qu’à vivre de toutes mes forces, que je criais la vie, que je cherchais à rejeter la mort le plus loin possible de moi?
A partir de ce moment,je me suis mise à enchainer les crises de panique.
Je venais alors d’emmenager sur Paris. Nouvelle vie, nouvelles études, nouveaux amis, nouvel appart. Se prendre en charge, se prendre dans la tronche la fourmillière qu’est paris, avec ses aisselles qui puent, la marée humaine, tout ceux qui courent sans savoir ou ils vont, le ciel caché par les immeubles, la pollution sonore et visuelle. Trop d’infos. j’étais submergée, je me perdais dans cette mer de folie. Je ne pouvais plus monter les escalier, je suis allée voir un psy qui m’a prescrit des anti-depresseurs. Mais je ne suis pas dépressive putain! Je n’ai pas envie de mourir, je veux vivre! Tu le comprends , ça? Je ne veux pas abandonner, je veux me trouver!
Et ça à été le début d’une longue période de souffrances. Loin de m’aider, la psy m’affublait de son regard de chien mouillé, regard qui j’imagine, se voulait compréhensif. Mais moi ça me soulait juste. Tu ne comprends pas. Tu ne comprends rien. Oui j’étais butée, très certainement. Elle voulait peut être m’aider cette demoiselle, mais je n’y ai pas trouvé les clefs que je cherchais. J’ai continué a faire des crises d’angoisses. C’était le calvaire pour sortir de la rue, marcher, courir, tout ce qui me demandais un effort physique. Les tremblements qui arrivaient en marée, et puis la peur qui te ronge, la peur qui te bouffe de l’intérieur jusqu’à que tu ne puisses plus respirer. Tu t’enfermes, tu te rétractes , tu marches, la peur te prend dans ses serres, tu paniques, tu te noies. Il fait noir, tu marches dans paris. Mais tu ne peux plus avancer. Tes muscles ne t’obéissent plus. Et te voila soudain accroupie sur le bord du trotoir, en position foetale. Tu peux à peine respirer. La panique te martèle, ne te laisse aucun répit. Tu entends les gens passer . Tu ne peux pas te relever. Tu décides, juste cette fois, d’appeller quelqu’un à l’aide. Voix de ton amie lassée au bout du téléphone. « ah..ok…bon j’arrive ». Et c’est la que tu comprends que tu ne peux demander à personne de t’aider. Tu ne peux pas leur demander de comprendre. C’est ton propre combat, c’est le tien, c’est toi qui te sortira toute seule de là et jamais personne ne se battra à ta place. Il te faudra te relever toute seule.
J’ai donc décidé d’arrêter les antidépresseurs. Il paraitrait qu’on peut en être dépendant. Tant pis, rien à taper. J’arrête. Je vais mieux. J’essaye, à chaque fois que je sens la crise venir , de me concentrer sur mes sensations pour empêcher mon esprit de dériver. Je serre très fort la barre du métro, je regarde le ciel, sens les tremblements du métro sous mes pieds , le frottement de ma manche sur mon bras, le grincement des accordéons des doubles bus . Et ça marche. Un an plus tard, je n’ai presque plus de crises de panique.
Mais les apnées du sommeil ne s’arrêtent pas, bien au contraire. Elles empirent. J’ai maintenant 22 ans, je continue mes études. Je me réveille le matin exténuée. Le moindre effort me fatigue au delà de tout ce que j’ai connu. Je perds mon souffle dès que je cours trois mètres. Je dors sur ma table presque tous les midis à la pose. Je suis incapable de me concentrer. J’ai des pertes de mémoire, des problèmes d’irritabilité. Je pleure facilement. Quand ça arrive, parfois en cours, je fais semblant de dormir, en laissant les larmes silencieuses couler de par derrière mes bras qui me servent de forteresse.
Et ça continue. Quelques années plus tard j’en suis au même point. Je me renseigne sur les apnées du sommeil. Ca ne se soigne pas, ça peut être mortel. Le cerveau et les organes privés d’oxygène en prennent un coup; le sommeil perturbé entraine des problèmes de mémoire, de concentration; on peut souffrir d’insuffisance cardiaque, de cyanose (le sang devient bleu à cause du manque d’oxygène), la peau aux extrémités se flétrit comme une vieille orange (c’est pour cela qu’aujourd’hui j’au des mains de grand mère toute plissée, je dis souvent que c’est parce que j’ai trop utilisé de peinture chimique sans prendre de gants mais la réalité est autre, hé, faut bien garder son jardin secret!) . Le seul remède, c’est de dormir avec un appareil respiratoire jusqu’à la fin de ta vie. Pour ressembler à Dark Vador et emmerder le peuple qui dormirait a proximité? Se trimballer une valise spéciale handicapée de la vie à chaque fois que tu pars en vacances? Plutôt crever, au sens propre comme au figuré. Whatever, je continuerais, et merde le reste.
Quelques années plus tard, ça atteint son paroxysme. Je dors presque toute la journée. J’ai parfois du mal à parler, a communiquer, je n’arrive pas à aligner trois mots. J’ai un job sur paris, j’ai récupéré l’appart un peu glauque d’un oncle, parti en vacances. Je dors sur un matelas de camping, avec des lézardes au plafond en guise de compagnie. Un de mes meilleurs amis vient de rentrer précipitemment à Paris. Sa mère vient de mourir. Elle avait 45 ans, on l’a retrouvé morte dans un appart. Son corps était la depuis une semaine. Il est effondré, bien évidemment.
Ce que je ne savais pas, c’est qu’il décide de passer une nuit dans l’appartement ou sa mère est morte.
Cette nuit là est la pire de toute ma vie. Je le répète, je n’étais pas au courant qu’il dormais la bas. Je me réveille toutes les 5 minutes, en proie à la terreur, sans savoir pourquoi . Je me tourne, me retourne, brusquement. Soudain, je me réveille , hors d’haleine. L’apnée, encore. Mais cette fois ci, ça allait beaucoup plus loin. Je ne ressens plus rien. Rien du tout. Je me sens comme flotter, dissoute. J’essaye d’avoir peur, mais je n’arrive pas à avoir le moindre sentiment.Mon corps ne semble plus m’appartenir. Mon coeur battait très lentement, comme peut le faire celui des plongeurs en apnées confirmés (j’ai appris plus tard que c’est un réflexe du corps pour s’adapter au manque d’oxygène, il se met en quelque sorte en « stase » pour survivre, c’est bien fait quand même la nature) .
Et je me mets à chanter O master de Susanne Sundfor, seule dans l’appart silencieux. A tue tête, comme pour briser un sort.
Cats and crows are in your locker
Eyeless
Trapped in a dark room
The tension is growing
And they keep on knockingWhen are you going to give them bones?
When are you going to give them rays of light?Trouble dolls are in your closet
Curious
Trapped in a dark room
Hungry and cold
And they keep knockingWhen are you going to crack their bones?
Will you ever give them rays of light?Even in death you won’t catch my breath
And now I’m waiting for a bullet
waiting for a bullet
waiting for a bullet
I feel so alive
Je me calme ensuite, puis me rendors par intermittences, avant de me réveiller , heureuse d’être en vie bien qu’épuisée. Sentant qu’il ne faut pas que je laisse mon corps se relacher, je mets mes chaussures et pars courir sous le soleil du parc, savourant le vent dans mes cheveux et la foule qui se presse sur les trotoirs, les platanes, l’éclat de la lumière sur la surface de l’eau. Je crache mes poumons tous les deux pas et sens mon coeur qui cogne désespéremment dans ma poitrine, mais peu m’importe.
Je suis en vie.
(suite au prochain épisode! hé oui ça fait long comme article)