Les Mariris, langues de feu des esprits des plantes

Pour continuer avec les plantes, voici un petit extrait de Journal d’une apprentie chamane , de Corine Sombrun. Elle y raconte sa rencontre avec un chaman d’amazonie (un vrai hein, pas un de ces énièmes gars qui se prétendent chamanes parce que c’est un moyen sur et efficace de s’en mettre plein les poches, aux détriments des pauvres touristes en mal de magie dans leur vie qui finissent par la risquer, leur vie , car prendre des substances comme l’ayahuasca sans contrôle strict d’une personne expérimentée, ça peut être extrêmement dangereux) , qui lui enseigne ce que sont les Mariris, les esprits des plantes.

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Je parle des serpents à Francisco. Ceux dont j’ai eu la vision hier. Il sourit. Il me dit que le serpent est le symbole de l’ayahuasca. Les avoir vu sortir de mon corps et se transformer en branches veut dire que l’esprit de l’ayahuasca est entré en contact avec moi et qu’il a accepté le processus de guérison. Il ajoute que c’est toujours sous cette forme que l’esprit de la plante apparaît. Surprise. Silence. Pensée profonde. Si cette vision est commune à plusieurs personnes, c’est peut être qu’elle est une réalité. Quel est cet esprit-serpent qui entre en contact avec nous? Je commence à comprendre pourquoi, partout à Sachamama, on peut lire des petits panneaux qui serinent : « Une vision est une réalité. »

Faut travailler en plus. Cours sur le Mariri. Moi je ne ris pas. Bon. Alors commençons par le début. Un malade vient voir le chaman. Le chaman doit organiser une séance d’ayahuasca pour entrer en contact avec l’esprit qui fait souffrir le malade. Une fois le contact établi, le chaman doit « aspirer » le mal du corps du patient. Pour ça il a une arme : le Mariri. Ce Mariri est l’esprit qui, au travers du chaman, va aspirer le mal du patient. Il est représenté comme une langue de feu, qui sort de la bouche du chaman et sur laquelle va venir se coller le mal du patient. C’est donc grâce à ce Mariri que le chaman peut aspirer le mal, sans craindre de le voir « pénétrer » en lui. Un peu comme un aspirateur à miasmes. Que le chaman doit donc obligatoirement posséder. C’est le maître qui apprend à son élève la technique d’aspiration du mal.

Comment un chaman peut-il obtenir ce Mariri? Grâce aux plantes maîtresses qu’il va « diéter » et qui, s’il le demande, vont faire don d’un Mariri à l’apprenti chaman.

La formule magique pour demander un Mariri? Elle se prononce dans le language des plantes, qui sont les icaros.

Un étudiant particulièrement doué peut obtenir un Mariri en trois mois. Il doit pour cela faire une diète spéciale, tout en demandant à la plante de bien vouloir lui donner ce Mariri. Puis s’en remettre à son maître, qui va également demander à la plante de bien vouloir donner un Mariri à son élève.

Si la plante accepte, elle appelle l’esprit d’un Mariri et le transmet à l’apprenti chaman par l’intermédiaire des rêves. L’apprenti va alors rêver que la plante lui offre le choix entre quatre Mariris, sous forme de quatre flammes, de quatre couleurs différentes: blanc, vert, rouge ou noir. Il n’a plus qu’à choisir celui qu’il fera sien. S’il choisit le blanc ou le vert, c’est qu’il est décidé à soigner, à faire du bien. S’il choisit le rouge ou le noir, c’est qu’il est décidé à faire du mal, de la magie noire. Il deviendra un black shaman.

Une fois ce choix fait, le Mariri entre dans le corps du chaman. Au début, il est petit, il n’a pas un grand pouvoir, il est alors comme un « bébé » qu’il va falloir nourrir et entretenir pour le rendre fort et puissant. Sa nourriture sera le tabac, que le chaman va fumer ou boire en potion. Sa nourriture sera également le parfum, dont le chaman va se servir pour l’honorer.

Les disciplines de diète et d’isolement sont destinées à faire en sorte que le chaman reste « en contact » permanent avec son Mariri. S’il ne suit pas la discipline requise, s’il boit de l’alcool par exemple, et qu’il perd le contrôle de sa raison, le chaman va perdre son Mariri. Lors de vomissements sans fin. Le Mariri pourra alors se retourner contre lui et le tuer.

Mais comment on « diète » une plante vous me direz? Il faut , comme son nom l’indique, observer une diète très stricte (pas l’alcool, pas de sucre, pas d’excitants , ni de piment, ni de graisse, ni de sel) durant un certain temps, afin de nettoyer l’organisme et de devenir plus « perméable ». L’ayahuasca se charge, lui aussi, de nettoyer le corps (lorsqu’on en prends, il parait qu’on vomit, qu’on peut avoir des grosses crises de caca liquide…c’est un peu le gros ménage de printemps super bourrin, les blocages physiques, émotionnels et psychiques ressortent sous une forme solide) .

Ensuite on va en forêt avec le chaman, on va voir la plante qu’on veut diéter, on lui demande la permission de la couper, puis on lui chante un « icaro », les chamans lui soufflent aussi de la fumée de tabac dessus en guise d’offrande. On met les feuilles à macérer toute la nuit dans de l’eau , et on garde quelques branches avec soi , sous son lit par exemple, pour attirer l’esprit de la plante. Le lendemain matin, on prend la tasse , on chante un icaro et hop re-fumée de tabac sur la tasse. On boit le contenu d’un trait, et ensuite, on ne doit voir personne de la journée, pour entrer en contact avec la plante, et observer 8 jours de diète .

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Image tirée du livre rouge, de Carl Jung

Soul Blindess (l’aveuglement de l’ âme)

Le terme de « Soul Blindess » m’est apparut pour la première fois en lisant ce bouquin d’anthropologie  merveilleux d’Eduardo Kohn, intitulé How Forest Think. Pour essayer de faire court, How forest Think  est un livre qui essaye de repenser l’anthropologie en dehors d’elle même, de l’appliquer a l’ensemble du vivant, par le biais de l’étude de la sémantique propre au vivant (l’étude des signes, donc.) tumblr_me5zoeBHMI1qas1mto9_500

Des signes, on en voit tout le temps. Comme ce visage qu’on a crut voir dans l’herbe , une rune dans le paquet de mikado ou encore la figure du christ dans un dorito. Serais-ce la preuve que Jésus cherche a nous faire passer un message du genre « si tu veux être sauvé , mange donc des doritos mon enfant » ?

L’homme va toujours chercher a se relier avec ce qui l’entoure par le biais des signes. Il communique grâce à  une panoplie de signes complets comme par exemple le langage, aggrégat de sons transposés en lettre par écrit (lettres qui sont en elles mêmes des signes propres a êtres compris si l’on possède la bonne clef pour les comprendre et intégrer) , jusqu’au langage corporel, par une infinité de micro-mouvements, sourires, regards, torsions,effleurements. Certains groupes de ces signes, comme le langage par exemple, ont une portée de compréhension limitée a ceux qui possèdent les bons référents (culture, éducation, logique, apprentissage). Un certain langage ne va être compris que par ceux qui utilisent le même langage, ou l’auront appris.

Le langage corporel est plus universel, encore qu’il dépende lui aussi beaucoup de la culture, mais certaines choses, comme un sourire, un regard ou une intonation sont tout autant de signes qui peuvent être décodés par le plus grand nombre.

Qu’en est il des êtres non humain? Quel genre de « clefs », de référents communs, possèdent-t-ils de concert avec nous, humains? C’est en essayant de répondre a cette question complexe qu’Eduardo Kohn est parti pendant plusieurs années vivre a Avila, un petit village situé en amazonie, frontière d’entre le monde sauvage de l’amazonie et notre monde moderne. Les Indiens d’Avila se nomment eux même les Runa, ce qu’on pourrait traduire par « les gens ». Ils portent une longue tradition shamanique, parlent avec leurs morts, parlent aux arbres, aux singes, au jaguars qui sont légion aux alentours de chez eux, et qui souvent sont responsables de la mort de certains de leurs proches.

Ne dors jamais sur le ventre quand tu va dans la forêt, qu’ils disent. Si tu croises un jaguar et qu’il voit que tu lui tournes le dos, tu es de la viande morte. Alors que si tu es allongé sur le dos, que tu leur rend leur regard, tu deviens l’égal du prédateur, tu deviens son miroir. Et le jaguar t’épargnera peut être.

Leur langage porte , dans sa structure même, des shémas qui font eccos aux manières de communiquer des animaux qui les entourent, certains mots représentent des états, des sons, des cris d’animaux, et font office de représentation de cet animal. Ca n’est pas l’animal en lui même, il s’agit plus la d’un genre de depersonnalisation , arriver a retrouver un certain rythme pour saisir l’essence de l’animal et ce qu’il évoque, tout en gardant une certaine forme de synthétisation. En effet, les Runa ne reproduisent jamais exactement l’aboiement de leur chien, ni le cri d’un oiseau: cela reviendrais a perdre son identité, a se faufiler dans la peau d’un animal et risquer de perdre la sienne en route. Cet équilibre entre le fait de se sentir humain, rester ancré dans sa condition tout en pouvant se faufiler dans la peau d’autrui, humain ou non, est l’une des caractéristiques de ces indiens runa. Apprendre a se mettre a la place de, et donc de comprendre la forêt qui les entoure et tous ses habitants est la condition sine-qua non de leur survie. Apprendre a lire les signes qui vous indiquent la présence d’une proie, la maturité d’un fruit, la santé d’un arbre, apprendre a reconnaitre les shémas et motifs du vivants et donc de prévoir la manière dont celui ci va réagir pour mieux le chasser , l’attraper, le cueillir sont tout autant de choses qui s’apprennent avec le temps, la pratique et l’instinct; or dans une société pratiquement autosubsistante (les indiens runa achètent leurs fringues, le riz, certaines cereales et objets de tous les jours, mais ils sont entièrement autonome pour les fruits, légumes et la viande) , être dépourvu de ces capacité ou ne plus savoir comment les utiliser, c’est être frappé de ce qu’ils appellent l’Aveuglement de l’âme.

L’âme devient incapable de se fondre dan ce qui est au dela d’elle, de reconnaitre ces clefs qui la lient a l’ensemble. Par exemple, chez les runas, il existe une croyance comme quoi les jeunes pères, durant tout le temps ou leur femme est enceinte, deviennent Soul Blind. Leur sperme a servit a concevoir la vie , et leur connection au monde s’est introduite dans le foetus; ils ne sont plus capable de l’utiliser, et c’est les autres qui leur fournissent ce dont ils sont besoin. Ou lorsqu’on est soudain angoissé, que nos pensées et notre raisonnement se détache soudain de tous les autres, qu’on perd pied, que notre esprit s’emballe comme un cheval fou , qu’on a l’impression , soudain, d’être passé de l’autre côté du miroir et de perdre le sens des mots. « Avalanche. Avalanche. A-va-lanche ». Soudain , ces quelques lettres ont perdu leur connection avec ce qu’elles représentent et les concepts qui lui sont liés. Cette mémoire en arborescence, cette pensée qui lie les notions les unes avec les autres a perdu le fil , et tombe, et se brise.

Nous nous brisons en nous mêmes, incapable de nous retrouver a l’extérieur de nous mêmes. Tout comme les aveugles perdent leur connection avec la vue, nous perdons notre connection avec le monde. Nous sommes aveugles au monde, et si nous ne trouvons pas le moyen de renouer les liens par le sens des choses, nous nous effondrons en nous même, comme un trou noir.