Le sang est mémoire

May she become a flourishing hidden tree
That all her thoughts may like the linnet be,
And have no business but dispensing round
Their magnanimities of sound,
Nor but in merriment begin a chase,
Nor but in merriment a quarrel.
O may she live like some green laurel
Rooted in one dear perpetual place.

W.B Yeats

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J’ai pataugé bien profond dans la fange lorsqu’il s’agissait de mettre la main a pâte de mes ancêtres. Creuser, mettre la tête dans la boue et garder les yeux grands ouverts même s’il s’agissait de ne voir …well… de ne rien voir du tout , sinon une matière collante, sombre, visqueuse comme le sang, et au centre des fibres , cheveux qui s’emmêllent comme une crinère de cheval fou.

Et puis on essaye de retourner aux sources ,de retrouver cet axe qui nous lie les pieds a la terre et la tête au ciel.  Nous sommes des sans lumière fixe, disait un personnage d’une BD feuilletée entre deux bières et un comptoir. Où sont nos racines, nous qui tricotons des jambes en permanence? Nos racines, c’est notre sang. Le sang est mémoire, criait Parangon la figure de proue, les yeux fous et les bras embrassant la tempête qui menaçait de l’engloutir (Les aventuriers de la mer, Robin Hobbs)

On cherche. On essaye de remonter aux sources , suivre les rameaux qui plongent toujours plus profonds dans les entrailles de la terre, en espérant s’y raccrocher, comme a une bouée de sauvetage pour ne pas être propulsé corps et âme dans l’immensité du ciel.

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L’une des méthodes qui m’a le plus servie pour m’y retrouver au niveau de mes lignées paternelles et maternelles, c’est la technique exposée par La Renarde, que vous pouvez allez voir donc par ici: https://lacailleach.wordpress.com/2013/09/29/deux-types-de-tirage-sur-les-ancetres-et-la-hamingja/

C’est très complet, bien foutu, et ça appuie bien comme il le faut sur les points sensibles, sur ces fameux « noeuds de lignée ». Les noeuds de lignée, c’est ce que tu portes en tant que fils/fille de… ce que certains appelleront le Karma (qui a mon avis n’est pas exactement la même chose, le karma est lié a l’incarnation précédente pour ceux qui croient a la réincarnation, tandis que la lignée, c’est lié a ton sang, tes ancêtres, a la terre) , d’autres la Hamingja . En gros ta Hamingja, c’est un terme nordique qui désigne « ta chance, ton potentiel de chance ». Ca t’es légué par tes ancêtres, et ça se construit grâce a tes actions, actions valeureuses, actions généreuses, ta capacité a te lier aux gens . c’est un pouvoir, qui par définition, comme la rune Fehu, doit être transmis pour se régénerer; il ne fonctionne que si tu le fais circuler, que si tu le donnes, si tu l’utilises a bon escient et que tu te sers de son pouvoir. S’il stagne, ou qu’il est bloqué, ça peut poser pas mal de soucis. Si tu te retrouve avec des noeuds dans tes lignées, que tes ancêtres ont , par exemple, torturé des escargots, n’ont pas tenu parole ou oublié de regler une dette, et bien patatrat , c’est pour ta pomme. (c’est un peu le Lannister de ton fil de vie. Si tu paye pas ta dette, tu payes avec ta vie et avec les intérêts s’il vous plait)

Que faire dans ces cas la?

-Déja, analyser la situation comme lorsqu’on fait face a n’importe quel problème. Et c’est la qu’intervient ce tirage des runes que je vous ai mis en lien. Ca permet de démêler l’écheveau, d’avoir un aperçu global et puis de jouer dans la finesse pour localiser la source du noeud. Perso, ça a été plutôt juste , j’y ai aperçu les qualités, et problèmes inhérents a mes lignées paternelles et maternelles, ainsi qu’une pièce qui m’a été très importante dans la compréhension de ce que je suis: la rune qui représente l’énergie, la nature de notre âme: j’y avais tiré Ehwaz, la rune du cheval,  je reviendrais sur sa signification un peu plus tard.

-Ensuite, comment les régler ces problèmes? Vous avez plusieurs solutions: soit vous allez voir quelqu’un qui est spécialisé dans la matière, soit vous essayez de régler le problème vous même si vous êtes particulièrement balaise, par le Bloodwalking entre autres (attention, c’est pas simple comme technique mais vous pouvez toujours jeter un petit coup d’oeil a l’article de Raven Kaldera si ça vous interesse ), et en vous renseignant sur vos ancêtres. (ça peut remonter loin, très loin, j’en suis arrivée aux peuples gaulois et aux Ingvaeones, un peuple nordique) , ou encore en combinant ces trois méthodes et en en rajoutant quelques unes de votre cru.

Il y a quelques mois, ma mère a été voir une amie qui possédait disons…des capacités de perceptions particulières(c’était a l’époque ou je la prenais un peu pour une folle, elle et ses trucs ésotériques chelous) , et celle-ci l’avait directement envoyée chez une autre personne de sa connaissance, car le problème était trop difficile a régler pour elle. . Ce damoiseau a finalement nettoyé  (a l’aide de méthodes dont je ne sais strictement rien mais que ça m’interesserais de connaitre) certains des noeuds inhérents a sa lignée, qu’elle portait d’autant plus lourdemment qu’elle était la dernière fille née de sa famille.

Et comme par hasard, le tirage  catastrophique sur lequel j’étais tombé du côté maternel avant qu’elle n’aille voir ce jeune démêleur de noeuds est redevenu…potable au deuxième tir. A l’endroit de la rune de la relation présente avec la lignée maternelle se gaubergeait une jolie petite rune a l’endroit, signe que tout était remis en ordre de ce côté la.

Par contre, c’était toujours aussi fumeux du côté de mon père. Un brouillard épais comme une purée de pois, pesant et paralysant, le genre de brouillard qui pue la stagnation et les chaines grincantes. A partir de la , les runes n’étaient pas suffisantes, il me fallait creuser plus profond. Quelle genre de relation mon père entretenait avec le sien? Je ne connaissais pas trop mon grand père, le savait renfermé, peu causant , intelligent et peu enclin au partage. Il avait combattu en Algérie. Son frère y était mort, tué par un obus. Mon père portait le prénom de ce même frère .Je réussis a me procurer des extraits du journal de bord de mon grand père, a l’époque ou celui ci combattais, de toute l’impétuosité de ses 18 ans . Des pages jaunies, une écriture serrée, régulière. Et soudain, je tombe sur la page qui narre la mort du frère de mon père. Des taches étiolent la page. Pluie? Larmes? Je n’en sais rien, mais ce que j’y lis me brise le coeur. L’amour de mon grand père pour son jeune frère, sa douleur, son chagrin qui fuse d’entre les phrases qui gardent pourtant toute leur cohésion, comme si en les rangeant comme il le fallait il pouvait archiver aussi son chagrin d’entre les pages de ses souvenirs. Je pleure, a torrents. Comment? Pourquoi? Pourquoi avoir nommé son fils du même prénom? Fut il frustré, toute se vie durant ,de cet ersatz de son frère, qu’il savait n’être le même, qu’il espérait retrouver tout en sachant qu’il n’en serait jamais le cas?

…Et si? Si, folle hypothèse, la réincarnation existe, se pourrait il que l’âme de son frère soit la même que celle de mon père, qui y voyait un moyen de retrouver son frère aimé? Oulah, on se calme ma fille. Tu te fais encore des films, on t’a dit que c’était pas bon pour la santé. Et pourtant…Ca expliquerait ces chaines, cette incompréhension.

Ni une ni deux, je plonge les mains dans mes runes. En saisis une seule.

Berkano a l’endroit. La naissance. Re-naissance. Retour de l’âme, guérison de l’âme? Ces frères étaient ils a côté finalement, sans pouvoir communiquer? Toute cette douleur viendrait elle de la? Et mon grand père est mort. Trop tard pour les réunir de chez les vivants. Peut on combler cette peine, ce vide chez les vivants, creusé par les morts, ce vide chez les morts qui ne peuvent plus revivre?

A cette question, je n’ai pas encore trouvé de réponse, mais je cherche.

Soul Blindess (l’aveuglement de l’ âme)

Le terme de « Soul Blindess » m’est apparut pour la première fois en lisant ce bouquin d’anthropologie  merveilleux d’Eduardo Kohn, intitulé How Forest Think. Pour essayer de faire court, How forest Think  est un livre qui essaye de repenser l’anthropologie en dehors d’elle même, de l’appliquer a l’ensemble du vivant, par le biais de l’étude de la sémantique propre au vivant (l’étude des signes, donc.) tumblr_me5zoeBHMI1qas1mto9_500

Des signes, on en voit tout le temps. Comme ce visage qu’on a crut voir dans l’herbe , une rune dans le paquet de mikado ou encore la figure du christ dans un dorito. Serais-ce la preuve que Jésus cherche a nous faire passer un message du genre « si tu veux être sauvé , mange donc des doritos mon enfant » ?

L’homme va toujours chercher a se relier avec ce qui l’entoure par le biais des signes. Il communique grâce à  une panoplie de signes complets comme par exemple le langage, aggrégat de sons transposés en lettre par écrit (lettres qui sont en elles mêmes des signes propres a êtres compris si l’on possède la bonne clef pour les comprendre et intégrer) , jusqu’au langage corporel, par une infinité de micro-mouvements, sourires, regards, torsions,effleurements. Certains groupes de ces signes, comme le langage par exemple, ont une portée de compréhension limitée a ceux qui possèdent les bons référents (culture, éducation, logique, apprentissage). Un certain langage ne va être compris que par ceux qui utilisent le même langage, ou l’auront appris.

Le langage corporel est plus universel, encore qu’il dépende lui aussi beaucoup de la culture, mais certaines choses, comme un sourire, un regard ou une intonation sont tout autant de signes qui peuvent être décodés par le plus grand nombre.

Qu’en est il des êtres non humain? Quel genre de « clefs », de référents communs, possèdent-t-ils de concert avec nous, humains? C’est en essayant de répondre a cette question complexe qu’Eduardo Kohn est parti pendant plusieurs années vivre a Avila, un petit village situé en amazonie, frontière d’entre le monde sauvage de l’amazonie et notre monde moderne. Les Indiens d’Avila se nomment eux même les Runa, ce qu’on pourrait traduire par « les gens ». Ils portent une longue tradition shamanique, parlent avec leurs morts, parlent aux arbres, aux singes, au jaguars qui sont légion aux alentours de chez eux, et qui souvent sont responsables de la mort de certains de leurs proches.

Ne dors jamais sur le ventre quand tu va dans la forêt, qu’ils disent. Si tu croises un jaguar et qu’il voit que tu lui tournes le dos, tu es de la viande morte. Alors que si tu es allongé sur le dos, que tu leur rend leur regard, tu deviens l’égal du prédateur, tu deviens son miroir. Et le jaguar t’épargnera peut être.

Leur langage porte , dans sa structure même, des shémas qui font eccos aux manières de communiquer des animaux qui les entourent, certains mots représentent des états, des sons, des cris d’animaux, et font office de représentation de cet animal. Ca n’est pas l’animal en lui même, il s’agit plus la d’un genre de depersonnalisation , arriver a retrouver un certain rythme pour saisir l’essence de l’animal et ce qu’il évoque, tout en gardant une certaine forme de synthétisation. En effet, les Runa ne reproduisent jamais exactement l’aboiement de leur chien, ni le cri d’un oiseau: cela reviendrais a perdre son identité, a se faufiler dans la peau d’un animal et risquer de perdre la sienne en route. Cet équilibre entre le fait de se sentir humain, rester ancré dans sa condition tout en pouvant se faufiler dans la peau d’autrui, humain ou non, est l’une des caractéristiques de ces indiens runa. Apprendre a se mettre a la place de, et donc de comprendre la forêt qui les entoure et tous ses habitants est la condition sine-qua non de leur survie. Apprendre a lire les signes qui vous indiquent la présence d’une proie, la maturité d’un fruit, la santé d’un arbre, apprendre a reconnaitre les shémas et motifs du vivants et donc de prévoir la manière dont celui ci va réagir pour mieux le chasser , l’attraper, le cueillir sont tout autant de choses qui s’apprennent avec le temps, la pratique et l’instinct; or dans une société pratiquement autosubsistante (les indiens runa achètent leurs fringues, le riz, certaines cereales et objets de tous les jours, mais ils sont entièrement autonome pour les fruits, légumes et la viande) , être dépourvu de ces capacité ou ne plus savoir comment les utiliser, c’est être frappé de ce qu’ils appellent l’Aveuglement de l’âme.

L’âme devient incapable de se fondre dan ce qui est au dela d’elle, de reconnaitre ces clefs qui la lient a l’ensemble. Par exemple, chez les runas, il existe une croyance comme quoi les jeunes pères, durant tout le temps ou leur femme est enceinte, deviennent Soul Blind. Leur sperme a servit a concevoir la vie , et leur connection au monde s’est introduite dans le foetus; ils ne sont plus capable de l’utiliser, et c’est les autres qui leur fournissent ce dont ils sont besoin. Ou lorsqu’on est soudain angoissé, que nos pensées et notre raisonnement se détache soudain de tous les autres, qu’on perd pied, que notre esprit s’emballe comme un cheval fou , qu’on a l’impression , soudain, d’être passé de l’autre côté du miroir et de perdre le sens des mots. « Avalanche. Avalanche. A-va-lanche ». Soudain , ces quelques lettres ont perdu leur connection avec ce qu’elles représentent et les concepts qui lui sont liés. Cette mémoire en arborescence, cette pensée qui lie les notions les unes avec les autres a perdu le fil , et tombe, et se brise.

Nous nous brisons en nous mêmes, incapable de nous retrouver a l’extérieur de nous mêmes. Tout comme les aveugles perdent leur connection avec la vue, nous perdons notre connection avec le monde. Nous sommes aveugles au monde, et si nous ne trouvons pas le moyen de renouer les liens par le sens des choses, nous nous effondrons en nous même, comme un trou noir.